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Ceci est un bloc de débogage

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Urbanités du 1er mars 2021: le compte rendu

Pour ce premier débat Urbanités de 2021, c’est en visioconférence que les intervenant·es et le public se retrouvent.

Marc Frochaux, modérateur de la soirée, souhaite la bienvenue aux spectatrices et spectateurs venu·es en nombre et présente les orateurs et oratrices du débat. Pour cette table ronde, l’idée était de réunir différents profils et de représenter les différentes parties prenantes intéressées par la question des matériaux biosourcés (société civile, recherche, administration publique, entreprise, structure associative).

Audanne Comment

Audanne Comment est architecte EPFL. Elle démarre actuellement Matilda, un projet de matériauthèque, et tient une chronique dans la revue Tracés.

Elle commence son intervention avec un constat : la pandémie a éveillé chez de nombreuses personnes un intérêt pour la consommation locale, notamment alimentaire. Mais qu’en est-il des matériaux qui composent nos bâtiments ? D’où viennent-ils, sont-ils démontables, captent-ils ou émettent-ils du carbone ? Dans une perspective de relocalisation de sa consommation, il peut être pertinent de s’interroger aussi sur ces questions.

Aujourd’hui, en Europe, l’importation de matériaux de construction se complique. Dans ce contexte, du fait de leur origine locale, les matériaux biosourcés (des matériaux issus de la biomasse animale ou végétale) deviennent intéressants. Bois, paille, cellulose recyclée, chanvre, liège, laine de lin, laine de mouton, ou encore herbe, fibre végétale ou paille de riz, les options ne manquent pas. Leurs avantages? Ils sont locaux, renouvelables et ils captent du CO2 durant leur croissance, ceci d’autant plus lorsque cette dernière est rapide (comme c’est le cas pour le chanvre ou la paille).

Audanne Comment appelle cependant à éviter de tomber dans le débat « bon versus mauvais matériau ». Chacun doit être évalué avec de multiples critères, le but étant de construire un bâtiment avec une empreinte environnementale aussi faible que possible. Par exemple, en Suisse, deux tiers du bois utilisé pour la construction est importé, et le béton, souvent présenté comme le « grand méchant », est moins énergivore que l’acier.

Audanne Comment rappelle ensuite que le débat sur les matériaux biosourcés implique plusieurs domaines qui doivent travailler ensemble tout au long de la chaîne de production et d’utilisation de ces matériaux : la foresterie/agriculture, l’industrie/artisanat et le bâtiment. Elle conclut son intervention en présentant brièvement deux projets que tout oppose : d’un côté, la coopérative DomHabitare (petite échelle, acteurs locaux, matériaux biosourcés, autoconstruction, recyclage), et de l’autre la tour TMC à Marseille, construite avec des matériaux conventionnels. Selon elle, ces deux mondes étanches l’un à l’autre doivent absolument pouvoir fonctionner ensemble.

C’est en ce sens qu’Audanne Comment développe actuellement Matilda, une matériauthèque qui vise à créer des connexions entre planificateurs et entreprises et de créer le dialogue afin d’accélérer la transition écologique et de décarboner le secteur du bâtiment.

Jean-Emile Fellay

Charpentier de formation et à la tête de l’entreprise familiale depuis les années 90, Jean-Emile Fellay est aujourd’hui propriétaire de IS Wood, une société qui commercialise des matériaux naturels en Valais (notamment l’isolant Gramitherm dont il est le seul distributeur en Suisse). Également formé au métier de tavillonneur, il affectionne les méthodes de construction traditionnelle. D’abord actif dans le secteur du bois du fait de l’entreprise familiale, il s’est rapidement intéressé aux matériaux naturels, en particulier les isolants, et a décidé de créer IS Wood afin de les rendre disponibles pour le plus grand nombre.

Parmi les solutions commercialisées par sa société, Gramitherm est un isolant biosourcés à base d’herbe mis au point au milieu des années 2000 par Stefan Grass. Il s’agit d’un produit breveté en Suisse et détenu par une société basée à Lausanne. Gramitherm utilise comme matière première de l’herbe de prairie non employée par le secteur agricole (donc essentiellement récoltée dans le domaine public). La fibre est extraite de cette biomasse, et le jus d’herbe est récupéré pour produire de l’énergie. Cette particularité fait de Gramitherm un isolant à bilan carbone négatif. En effet, pour un kilo d’isolant produit, ce sont 1,5 kg de CO2 qui sont absorbés. En outre, l’herbe est une matière première à croissance très rapide puisqu’elle est coupée chaque deux mois. En termes de composition, Gramitherm est constitué de 72% d’herbe, de 20% de fibres de jute recyclée et de 8% de fibres synthétiques. Il absorbe bien l’humidité, possèdes d’excellente propriétés acoustiques et isole bien du chaud et du froid.

Jean-Emile Fellay évoque ensuite les difficultés rencontrées depuis le lancement de sa société. Durant les premières années, rien que la recherche de fournisseurs constituait un défi majeur. Par la suite, les entreprises avec lesquelles il collaborait ont souvent fait faillite, le marché n’étant pas encore prêt pour ces produits. Encore aujourd’hui, le circuit de distribution est difficile à mettre en place, car les revendeurs principaux considèrent encore ces produits comme marginaux et sans intérêt. Enfin, Jean-Emile Fellay raconte devoir faire face à de nombreux préjugés quant à l’efficacité de ces matériaux, et à des réticences concernant leur prix.

Elsa Cauderay (CArPE)

Elsa Cauderay fait partie de CArPE, un collectif d’architecture participatif et écologique basé à Renens. Au cœur de l’action de cette structure qui réunit architectes et non architectes : une remise en question du processus même de production du bâti, à travers un échange de savoir et de savoir-faire, des chantiers participatifs, de la formation et de la sensibilisation. Le collectif a déjà participé à plusieurs projets entre Genève et Lausanne.

Selon CArPe, le processus de construire nécessite une approche holistique qui réunit sept dimensions. Dans ce cadre, les filières de matériaux biosourcés sont très importantes dans la démarche du collectif et permettent de questionner chacune des dimensions :
  • La première dimension, l’horizontalité, repense l’organisation sociale au sein du collectif, et aussi avec les entreprises partenaires. Concernant les filières de matériaux, c’est l’occasion de limiter les intermédiaires et de tisser des liens de confiance en utilisant des matériaux locaux.

  • La seconde dimension, la participation, vise à impliquer les parties prenantes à tous les niveaux. Ce choix de processus va contribuer à dicter le choix d’un matériau et sa mise en œuvre.

  • Troisièmement, le mode d’habiter implique un changement tant sur le plan des matériaux utilisés que dans notre façon d’habiter, et met l’accent sur les liens sociaux.

  • La dimension de formation et sensibilisation est également cruciale. Avec CArPE, chaque chantier est un support de formation permettant de se réapproprier des savoirs et de transmettre des outils, et chaque projet est une occasion de porter un regard critique sur la façon de construire.

  • La cinquième dimension interroge le cycle de vie des matériaux, dont chaque étape doit être prise en compte, de leur extraction à leur déconstruction. En ce sens, les filières biosourcées comme la paille, le bois ou la terre crue représentent des solutions particulièrement intéressantes.

  • Avec la sixième dimension, l’approche bioclimatique, CArPE souhaite rappeler que chaque construction s’inscrit dans un lieu et un climat particulier. Le choix d’un matériau doit donc s’inscrire dans un contexte. Ainsi, chez nous, utiliser de la botte de paille associée à de la terre crue se révèle particulièrement pertinent.

  • Enfin, la dernière dimension, le low tech, insiste sur l’importance de la diversité des techniques de construire et du développement d’une réflexion critique.

Elsa Cauderay termine son intervention en présentant deux projets récents dans lesquels le collectif a tenté de prendre en considération chacune de ces sept dimensions :
  • Le premier est un bâtiment coopératif situé à Genève, pour la construction duquel CArPE a travaillé en collaboration avec ATBA. Un important chantier participatif a été mis sur pied ; les habitant·es ont été impliqué·es dans la réalisation des panneaux de façade et des enduits de finition.

  • C’est également une approche participative à tous les niveaux qui a guidé la réalisation du Terrain d’aventure à Lausanne (Malley). Un processus de conception participative a en effet pu être mis en place avec les habitant·es du quartier. Et pour la construction, ce sont des jeunes et enfants qui ont mis la main à la pâte lors d’ateliers. Afin de faciliter leur implication, les techniques de construction ont été pensées de façon simple.

Guillaume Habert

Docteur en géologie structurale, professeur responsable de la chaire de construction durable à l’EPFZ, Guillaume Habert a également participé à des recherches sur le béton durable et sur l’évaluation environnementale des matériaux.

Le sujet de son intervention : des bâtiments neutres pour le climat, ici et maintenant. En effet, l’urgence climatique ne peut plus être niée, et le temps manque pour imaginer une nouvelle technologie. Il nous faut donc composer avec les savoir-faire et ressources existants pour atteindre les objectifs préconisés par le GIEC (-100% d’émissions en 20 ans).

La crise sanitaire a fait chuter les émissions de CO2 de 5% et a donc permis de respecter l’objectif climatique ; mais à un prix économique et social colossal. Dans les secteurs de l’industrie, de l’énergie et du bâtiment en revanche, les émissions sont restées stables. C’est donc sur ces secteurs qu’il faut agir en priorité. En effet, si l’efficacité énergétique des bâtiments a été considérablement améliorée, peu de progrès ont été réalisés en ce qui concerne leur énergie grise. Dans cette optique, l’utilisation d’isolants écologiques devient donc cruciale. En effet, en Suisse, l’essentiel des activités de construction se basant sur la rénovation, l’isolation va devenir un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, en particulier si l’on continue à utiliser des isolants à base de pétrole. L’utilisation de matériaux biosourcés permet donc d’inverser la tendance et de stocker massivement du carbone dans les bâtiments construits.

Pour Guillaume Habert, il est donc possible de construire des bâtiments neutres pour le climat. Pour ce faire, il n’est pas forcément nécessaire de n’utiliser que de la paille ou de la terre. Il est possible d’associer les matériaux de façon intelligente avec par exemple une structure en béton ou en bois, et un isolant biosourcé. A l’image d’une pyramide alimentaire, un bâtiment neutre est celui qui comporte la bonne proportion des différents matériaux.

Mohamed Meghari

Mohamed Meghari est titulaire d’une formation d’ingénieur civil, qu’il a complétée par un master en sciences de l’environnement et un master en administration publique. Il exerce aujourd’hui la fonction de chef de la division Efficacité énergétique à la DIREN de l’Etat de Vaud.

Il évoque dans son intervention la politique énergétique de l’Etat de Vaud et la promotion possible des matériaux biosourcés. En effet, dans le contexte actuel où le système énergétique est encore largement basé sur les énergies fossiles, il est urgent d’agir. Pour ce faire, le canton de Vaud a mis sur pied des objectifs qui rejoignent la stratégie énergétique 2050 de la Confédération.

Concernant le secteur de la construction en particulier, il y a beaucoup à faire. A l’heure actuelle, l’objectif d’agir sur l’énergie grise des bâtiments ne figure pas au programme du canton, ni de la Confédération. Cependant, elle prend une part de plus en plus importante dans la consommation globale d’un bâtiment. En effet, on parvient aujourd’hui à réduire considérablement la consommation des bâtiments durant la phase d’exploitation via l’efficacité énergétique et la rénovation des bâtiments anciens. Le problème de l’énergie grise émerge donc d’autant plus et appelle à une action rapide.

Dans ce contexte, l’utilisation de matériaux biosourcés prend tout son sens. Elle permet également de réduire notre dépendance énergétique et ainsi d’assurer une sécurité d’approvisionnement. En outre, on se trouve aujourd’hui dans une situation favorable à leur développement car leur coût de production commence à devenir concurrentiel. Tous ces éléments plaident donc en faveur d’une intervention publique afin d’encourager leur utilisation dans le domaine de la construction. Mais pour le moment, une telle mesure n’est pas à l’ordre du jour. Pourquoi? Mohamed Meghari explique que ce frein est notamment dû à la structure de la filière : le tissu industriel lié à ces matériaux est morcelé avec plusieurs filières différentes, ce qui induit un manque de visibilité. Il rappelle aussi qu’il est nécessaire que les professionnel·les soient formé·es aux possibilités d’usage de ces matériaux. Enfin, il reconnaît que le cadre règlementaire n’est pas favorable à ces matériaux, et ce malgré l’existence de subventions pour les constructions et rénovations Minergie-P-ECO et d’un soutien aux projets pilotes.

Afin de pallier ces manquements, une réflexion visant à favoriser davantage l’usage de matériaux biosourcés est actuellement menée dans le cadre de la révision de la loi sur l’énergie. Notamment, le devoir d’exemplarité de l’Etat pourrait être étendu aux communes et aux privés. En effet, actuellement, seuls les bâtiments construits par l’Etat doivent répondre à un haut standard énergétique et écologique.

TABLE RONDE / DEBAT

La table ronde est animée et de nombreuses questions sont soulevées. En voici un aperçu.

Le prix de ces matériaux est-il trop élevé? Est-ce pour cela que les filières peinent à décoller?

Les intervenant·es sont d’accord pour dire que le prix ne doit pas être le seul critère de choix d’un matériau. Jean-Emile Fellay rappelle que les isolants à base d’herbe ou de chanvre ne sont pas beaucoup plus onéreux que les isolants conventionnels. Audanne Comment souligne qu’il faut prendre en compte tous les aspects d’un matériau, y compris sa longévité. Elsa Cauderay donne l’exemple du bâtiment coopératif à Genève, qui héberge de nombreux appartements à bas loyer et dont la construction n’a pas coûté plus cher que celle d’un bâtiment conventionnel. Guillaume Habert rappelle aussi qu’en utilisant des matériaux biosourcés, des économies considérables sont réalisées sur tous les systèmes techniques du bâtiment (ventilation par exemple).

Plusieurs personnes du public abondent dans ce sens. Un des spectateurs relève cependant qu’il y a un problème de communication. En effet, l’être humain a tendance à se conforter dans les méthodes qu’il connaît. Pour promouvoir l’utilisation massive des matériaux biosourcés, il faut donc proposer des solutions nettement moins chères.

Un grand débat s’entame ensuite autour de la question des labels.

Plusieurs intervenant·es adoptent une approche critique concernant les labels. Guillaume Habert estime qu’ils sont trop focalisés sur l’efficacité énergétique et ne permettent donc pas de lier la question des matériaux au processus de construction. Il relève néanmoins la nécessité de proposer des incitations afin que les maîtres de l’ouvrage optent pour des solutions neutres ou négatives en carbone. Audanne Comment regrette que les solutions proposées par les labels n’intègrent pas suffisamment les aspects de sobriété.

Elsa Cauderay évoque quant à elle le bâtiment ECO 46 réalisé pour la Ville de Lausanne. Ce dernier n’avait pas obtenu le label Minergie P, mais une étude réalisée après une année d’utilisation a démontré que le bâtiment avait consommé moins d’énergie que si la ventilation à double flux exigée par le label avait été installée. Elle appelle donc à plutôt donner des outils aux gens pour les rendre conscients des choses plutôt que de vouloir standardiser à tout prix, d’autant que les matériaux locaux et non industriels semblent peu adaptés à cette logique.

Mohamed Meghari défend les labels en rappelant qu’ils demeurent de bons moyens de mettre en œuvre la politique énergétique et d’agir sur la consommation des bâtiments, d’autant plus que l’action du Canton se focalise à l’heure actuelle sur l’assainissement. Il entend néanmoins la position des autres intervenant·es et du public, car il est vrai qu’en ne prenant pas en compte l’énergie grise, les labels ne favorisent pas les matériaux biosourcés. Mohamed Meghari se demande si les acteurs privés de la filière ne devraient pas travailler avec des associations comme Minergie pour développer des labels spécifiques, reconnus par la branche et facilement implémentables. Cela permettrait à l’administration de se positionner et de soutenir leur mise en place par des règlementations ou des aides financières. Mais qui doit démarrer l’impulsion? Pour l’un des spectateurs, c’est aux cantons d’investir massivement pour développer des labels qui bénéficient à l’ensemble de la société et accompagnent les acteurs associatifs.

(Rédaction du compte rendu: Cécile Amoos, SIA Vaud)